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La science attoseconde, un nouveau monde à explorer​

Le prix Nobel de physique 2023 a distingué la science attoseconde, dont on doit la naissance aux lauréats Anne L'Huillier, Pierre Agostini et Ferenc Kausz. Mais qu'est-ce que c'est l'attoseconde ? Et pourquoi son développement suscite un tel engouement ? Réponses avec Vincent Loriot, enseignant-chercheur à l'université Claude Bernard Lyon 1 et membre de l'Institut Lumière Matière, l'un des trois laboratoires en France à savoir produire des impulsions de lumière attoseconde.

Depuis longtemps, les prix Nobel de physique et de chimie ont régulièrement distingué les scientifiques dont les découvertes étendent notre compréhension de la matière. Et en particulier de son interaction avec la lumière. La façon dont la matière réagit à l’absorption de lumière a offert la possibilité de sonder les plus petits constituants de notre monde physique.

À ce titre, les lasers ont joué un rôle majeur, repoussant les limites de l’exploration de la matière à des échelles de temps de plus en plus courtes. En effet, « plus la taille des particules observées diminue (molécules, atomes, électrons), plus l’échelle de temps associée est petite », explique Alexie Boyer, docteure en physique de l’Université Claude Bernard Lyon 1. Allant jusqu’à la mise au point de lasers à impulsions permettant de réaliser des « films » de la dynamique ultra-rapide des atomes et des molécules – comment elles vibrent, se dissocient ou changent d’orientation – à l’échelle de la femtoseconde (10-15 s, soit 0.000 000 000 000 001 s).

Mais au-delà se dressait une barrière pour accéder à la dynamique de l’électron, une particule élémentaire qui orbite autour de l’atome, dont l’échelle de temps naturelle est dans l’attoseconde – 1000 fois plus courte qu’une femtoseconde. Une échelle de temps inaccessible avec un laser, jusqu’à la découverte d’Anne L’Huillier et des travaux de Pierre Agostini et Ferenc Krausz.
 

La science attoseconde, la découverte pionnière d’Anne L’Huillier

Une attoseconde, c’est un milliardième de milliardième de seconde. Pour se le représenter, il faut s’imaginer que, si en une seconde la lumière traverse la distance qui sépare la Terre de la Lune, en une attoseconde elle parcourt une distance de la taille d’une molécule. De la même façon, on compte autant d’attosecondes dans une seconde qu’il y a de secondes dans l’âge de l’univers.

Accéder à cette échelle de temps vertigineuse a constitué un véritable challenge qui, il y a encore 30 ans, était considéré comme impossible. Pour la simple et bonne raison que, fondamentalement, on ne peut pas concevoir un laser attoseconde du fait même du fonctionnement d’un laser. « Dans l’effet laser, tout se passe à l’intérieur des atomes et des molécules, ce qui limite les longueurs d’ondes qui peuvent être émises. Pour contourner ce problème, les impulsions attosecondes ne reposent pas sur l’effet laser, mais sur un effet post-laser », explique Vincent Loriot, enseignant-chercheur à l’Université Claude Bernard Lyon 1 et membre de l’Institut Lumière Matière (ILM - Université Claude Bernard Lyon 1/CNRS).

Un changement de paradigme initié dans les années 90 par la découverte d’Anne L’Huillier. Elle a utilisé un laser pour initier un processus appelé « génération de hautes harmoniques » qui, par l’intermédiaire d’un gaz et sous des conditions d’éclairement extrême, produit des flashs de lumière dans le domaine de l’extrême ultraviolet (XUV). Pierre Agostini et Ferenc Krausz ont par la suite mis au point des méthodes permettant de mesurer la durée de ces flashs lumineux. C’est alors les débuts de la science attoseconde, qui a ouvert un champ de recherche jusque-là complétement inexploré.

De nombreux processus chimiques découlent d’une interaction avec la lumière, entraînant l’éjection d’électrons des atomes ou des molécules. Or, les électrons renferment de nombreuses informations sur les atomes et les molécules dont ils s’échappent, que les scientifiques captent grâce à des impulsions lumineuses attosecondes. En accédant à cette dynamique, ils sont à même d’étudier des molécules de plus en plus complexes, voire de contrôler les électrons. Autrement dit, de contrôler les réactions chimiques qui s’en suivent, ouvrant des perspectives de recherche fascinantes au-delà de la chimie ou de l’optique traditionnelle.
 

La science attoseconde, une spécificité à l’ILM

Aujourd’hui, les conditions particulières pour produire des impulsions attosecondes stables sont maitrisées à l’ILM, où Vincent Loriot a beaucoup œuvré pour le développement d’un dispositif attoseconde au sein de l’équipe Structure et dynamique multi-échelle des édifices moléculaires.

Cela fait partie intégrante de la spécificité de l’équipe dirigée par Franck Lépine (Directeur de recherche CNRS) et Isabelle Compagnon (enseignante-chercheuse à l’Université Claude Bernard Lyon 1) de pouvoir étudier la dynamique quantique résolue en temps, de l’attoseconde jusqu’à quelques millièmes de seconde, dans des molécules les plus simples (dihydrogène) aux plus complexes (protéines). Cette expertise intéresse ainsi de nombreuses communautés scientifiques allant de la physique très fondamentale, à la chimie ou à la biologie, mais aussi dans l’industrie pour la manipulation de matériaux semi-conducteurs.

Vincent Loriot - © Éric le Roux
Vincent Loriot - © Éric le Roux

Vincent Loriot travaillant sur le dispositif permettant de produire des impulsions de lumière attosecondes.
© Éric Le Roux / Direction de la communication Lyon 1


« De nombreux processus biologiques sont par exemple initiés par la perte d’un électron, comme les dommages radiatifs ou les réactions d’oxydation, conduisant à la modification de la structure d’une molécule et donc de ses propriétés biologiques », explique ainsi Alexie Boyer, qui a réalisé son doctorat à l’Institut Lumière Matière. Elle a ainsi mis en évidence des transferts de charges très localisés dans des protéines, liés à la structure même de la molécule étudiée. Des résultats qui lui ont valu d'être récompensée par la société française de physique pour sa thèse.
 
Des chercheurs de l’ILM collaborent également avec des astrophysiciens de la NASA pour comprendre la chimie de l’espace. « Avec nos conditions en laboratoire, on est capable de faire un film de la dynamique de photochimie ultra-rapide des milieux interstellaires », explique Vincent Loriot.

L’influence d’Anne L’Huillier est manifeste dans le développement de cette science à l’ILM. « Elle a contribué à la vocation de beaucoup d’entre nous dans l’équipe », reconnait Vincent Loriot. Certains chercheurs ont d’ailleurs directement collaboré avec elle, comme Saikat Nandi et Eric Constant, chercheurs CNRS à l’ILM qui ont réalisés des post-doctorats ou des collaborations dans le laboratoire de la nouvelle lauréate, ou Franck Lépine qui a été collaborateur et chercheur invité à Lund.

L’ilm est aujourd’hui l’un des trois seuls laboratoires en France à savoir produire des impulsions attosecondes, et à pouvoir les utiliser dans de vastes domaines de recherche.
 

Des recherches fondamentales au bénéfice de toute la société

Dans les années 60, lorsque le physicien américain Theodore Maiman met au point le premier laser, on imagine difficilement cette invention sortir du laboratoire. Pourtant, presque soixante ans plus tard, les lasers sont partout dans notre quotidien (dans notre salon, à l’hôpital, dans l’industrie…). Et leur impact dans la recherche est toujours d’actualité.

Puis dans les années 90 la physique et la chimie femtoseconde ont ouvert un vaste champ d’applications, allant de l’étude de la photostabilité de l’ADN à la chirurgie réfractive de la vision. Ainsi, on entrevoit encore à peine l’impact majeur des découvertes des lauréats du prix Nobel de Physique 2023. Ce qui est certain, c’est que le comité Nobel reconnait dans la science attoseconde, et plus généralement dans cette notion fondamentale d’interaction entre lumière et matière, un fort potentiel à venir pour nos sociétés.

À ce titre, la recherche française se distingue particulièrement, souligne Vincent Loriot : « Les prix Nobels de Serge Haroche (2012), de Gérard Mourou (2018), d’Alain Aspect (2022), et maintenant d’Anne L’Huillier et Pierre Agostini, montrent que l’école française d’optique et de physique quantique est incontestablement reconnue sur le plan international. C’est un message très positif envers nos étudiantes et étudiants sur l’enseignement supérieur des sciences en France », ponctue cet enseignant-chercheur.

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Publié le 13 novembre 2023 Mis à jour le 27 novembre 2023