Jacques Marteau, de la physique des particules à la start-up
Jacques Marteau a co-fondé la start-up MUODIM, dont la technologie se base sur une technique d'imagerie venue de la physique des particules. Retour sur le parcours d'un chercheur que rien ne prédestinait à l'entreprenariat.
« J’ai un parcours qui va du plus abstrait au plus concret » résume Jacques Marteau. Maître de conférences à l’Université Claude Bernard Lyon 1, il s’est récemment lancé dans l’aventure de l’entreprenariat avec MUODIM, la 100e start-up créée par Pulsalys. Ce physicien a développé une technologie comparable à l’imagerie aux rayons X permettant d’explorer et de cartographier de très grands espaces fermés, ou opaques. Un service qui a rapidement intéressé des industriels. L’entreprise a notamment signé un contrat dans le domaine des tunneliers, dans le cadre du projet Grand Paris. Pourtant, rien ne prédestinait ce physicien des particules à la création de start-up. « Tout a été motivé par des demandes d’utilisateurs » constate-t-il.
De la recherche des neutrinos…
Lorsqu’il est recruté à l’Institut de physique nucléaire de Lyon – nouvellement IP2I –, Jacques Marteau travaille sur les neutrinos. Cette particule s’avère difficile à détecter, car elle n’interagit pas avec la matière. Pour les étudier, les scientifiques s’intéressent à un produit de leurs interactions : les muons.
Jacques Marteau et ses collègues ont développé à l’IP2I des instruments pour détecter ces particules naturellement produites dans notre atmosphère. « Nos travaux à l’IP2I ont contribué à la construction d’un grand détecteur de muons, ainsi qu’à des méthodes de traitement de données dans le but d’étudier les neutrinos », explique le chercheur.
Mais ces recherches fondamentales intéressent rapidement des scientifiques d’autres domaines. Car ces particules ont la particularité de traverser la matière sur de longues distances avant d’être absorbées. D’où l’idée d’exploiter cette propriété pour scanner des milieux opaques comme des sous-sols, des volcans et plus généralement de grandes structures difficilement accessibles. C’est ce qu’on appelle la muographie.
Toute la question a alors été de savoir comment, pratiquement, sortir ces grands détecteurs des laboratoires pour les amener sur le terrain.
…aux premières applications en géosciences
C’est le chercheur américain Luis Alvarez, prix Nobel de physique en 1968, qui, dans les années 1970, a le premier proposé d’appliquer la détection de muons pour faire de l’imagerie. A l’époque, il a l’ambitieux projet d’imager l’intérieur de la grande pyramide de Khéops. Seulement, les moyens de l’époque l’empêchent de démontrer l’intérêt de cette nouvelle technique – depuis, le projet franco-égyptien Scanpyramids a concrétisé cette idée en 2016 et permis notamment de découvrir un grand vide à l’intérieur de la pyramide de Khéops.
Entre temps, Jacques Marteau et ses collègues sont contactés par des chercheurs en géosciences qui voient dans la muographie la possibilité d’imager l’intérieur d’un volcan. Mais le défi est de taille : le terrain est dangereux, difficilement accessible et les intempéries contraignantes. Si la muographie permet d’imager d’assez loin tout en embrassant un volume assez grand, les détecteurs de l’époque s’avèrent peu adaptés. « Près d’un volcan, les instruments doivent être légers, transportables à dos d’homme. Or les détecteurs que nous avions construits en laboratoire étaient très imposants, un peu la caricature des instruments de la physique des particules » se rappelle, amusé, ce chercheur.
Jacques Marteau et son équipe seront alors les premiers à faire sortir ces détecteurs à muons du laboratoire sous une forme adaptée à des terrains expérimentaux divers (volcanologie, sous-sols géologiques, fourneaux d’aciérie, centrale nucléaire…). De la recherche fondamentale à la recherche interdisciplinaire, la muographie attire bientôt l’attention d’industriels. « Par la confrontation avec des besoins utilisateurs variés, on en est arrivé à ce projet d’extraction et de valorisation de la recherche pour des applications ciblées dans les géosciences, le génie civil… ».
Les débuts de l’aventure Start-up
Devant les demandes croissantes d’industriels intéressés par la muographie, le chercheur envisage un service de prestations et se renseigne dans le microcosme de l’Université Claude Bernard Lyon 1. Le contact ne tarde pas à s’établir avec la SATT lyonnaise Pulsalys, ce qui lui permet d’entrer en lien avec des entrepreneurs. « C’est une chose de savoir faire l’imagerie technique, une autre de la négocier avec un industriel pour en faire une véritable activité économique » avoue-t-il.
Ainsi, MUODIM a été approchée par l’une des entreprises chargées de creuser une des portions du métro Grand Paris. Soucieux de rentabiliser les tunneliers dans un environnement difficile, obstrué et pouvant occasionner des arrêts fréquents, cet industriel a fait appel à la muographie pour la reconnaissance de terrain à l’avant de la machine.
A l’instar de ce projet d’urbanisme, la jeune start-up entend multiplier dans les deux prochaines années les preuves de concept de sa technologie. En la confrontant autant que possible à des terrains différents, les chercheurs et ingénieurs de MUODIM espèrent améliorer le potentiel prédictif de leur méthode de muographie. En travaillant notamment le traitement de données. « Notre vraie plus-value, explique jacques Marteau, se situe dans le passage des données brutes à l’image ». De la détection de particules à l’image, cela est rendu possible par un traitement intermédiaire basé sur des d’algorithmes. Et ces méthodes informatiques issues de la physique des particules doivent être adaptées aux conditions et contraintes spécifiques à chaque terrain.
Sortir la recherche du laboratoire, l’adapter aux contraintes du monde extérieur et concrétiser des savoir-faire techniques en potentiel économique, c’est donc l’aventure dans laquelle s’est lancé Jacques Marteau. Pas facile de concilier la vie de chercheur, d’enseignant, de directeur-adjoint de laboratoire et d’entrepreneur. Mais « les choses s’organisent et s’équilibrent avant tout grâce à un travail d’équipe, au laboratoire comme en entreprise », ponctue-t-il confiant.