Corinne Dupont, première sage-femme devenue Professeure à Lyon 1
Corinne Dupont est la première sage-femme à devenir Professeure des universités. Nommée à l’Université Claude Bernard Lyon 1 et soutenue par son président et les doyens des facultés de médecine de Lyon 1, elle ouvre grâce à ce poste inédit la voie à une meilleure complémentarité entre recherche et maïeutique.
La trajectoire de Corinne Dupont est atypique, mais elle reflète aussi l’évolution d’une profession « qui reste encore trop méconnue » selon elle. Depuis trente ans qu’elle évolue dans cette discipline, elle a constaté la montée en compétences des sages-femmes et vu les pratiques de soins se diversifier. Aujourd’hui, cette reconnaissance s’institutionnalise avec la création d’un Conseil National des Universités (CNU) en maïeutique, qui a abouti à sa nomination à l’Université Claude Bernard Lyon 1.
Rapidement après le lycée, la maïeutique s’impose à Corine Dupont comme une évidence. « C’est un métier qui me tenait à cœur » confie-t-elle. Mais après avoir exercé en clinique, puis à l’Hôpital Edouard Herriot, elle commence à élargir sa vision de la profession. A l’époque, certaines causes évitables de la mortalité maternelle sont encore trop fréquentes. Interpellée par le manque de mobilisation pour y remédier, elle décide d’approfondir cette question.
Le déclic viendra lors d’une formation en évaluation de qualité en médecine à l’Université Claude Bernard Lyon 1, et au fil de rencontres clés avec des médecins et des chercheurs, qui l’amènent à porter un autre regard sur les soins. « Il existait déjà dans certains secteurs à risques comme l’aviation ou le nucléaire des protocoles de sécurité très rigoureux. La question était de savoir comment nous pouvions transposer ces méthodes pour améliorer la sécurité du couple mère-enfant » explique Corinne Dupont.
L’hémorragie, une préoccupation à chaque accouchement
A la lecture du rapport d’une enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles, deux constats s’imposent à Corinne Dupont : l’hémorragie est la première cause de décès post-partum, et elle est dans la grande majorité des cas évitable. Un comité sur la mortalité maternelle avait été créé en 1989, pourtant, au début des années 2000, il n’existe pas encore de recommandations en pratique clinique sur cette pathologie.
Diplômée d’un DEA, puis d’un doctorat en 2009 sur les événements indésirables graves en obstétrique, Corinne Dupont prend alors part à l’étude PITHAGORE, la première étude française sur la prise en charge des hémorragies graves du post-partum. Coordonné par le Pr. Rudigoz [1], ce projet a permis la mise en place d’outils d’urgence disponibles en cas d’hémorragie toujours utilisés aujourd’hui dans les salles d’accouchements. Cette première étude, ainsi que la reconnaissance significative du parcours du Pr. Rudigoz (Professeur à Lyon 1), ont participé à une prise de conscience des soignants et à la mobilisation de la communauté des sages-femmes pour une meilleure prise en charge lors des accouchements.
Depuis 2004, il existe un protocole de prise en charge de ces hémorragies – actualisé en 2014 –, « mais cette complication reste une préoccupation à chaque accouchement » souligne Corinne Dupont. Cependant, l’hémorragie n’est aujourd’hui plus la première cause de mortalité post-partum.
Des recherches au cœur de la maïeutique…
En 2016, Corinne Dupont obtient son habilitation à diriger des recherches (HDR) au laboratoire de recherche sur la performance des soins (RESHAPE et anciennement HEPSER) de l’Université Claude Bernard Lyon 1, en lien avec les Hospices civils de Lyon. Entre temps, elle approfondit ses travaux sur l’hémorragie en abordant le problème du point de vue physiologique, « le cœur de la maïeutique ».
Des études pointent du doigt le rôle de l’oxytocine, qui accélère le travail pendant l’accouchement. Utilisée de manière trop systématique, il s’avère que cette molécule constitue un facteur de risque d’hémorragie. Grâce à ses recherches, à l’impulsion du collège national des sages-femmes et de sa présidente Sophie Guillaume, en collaboration avec le collège national des gynécologues obstétriciens, Corinne Dupont participe à la mise en place d’une première recommandation sur le plan national allant dans le sens d’une utilisation plus raisonnée de l’oxytocine.
Cette chercheuse, qui place la pratique au cœur de ses travaux scientifiques, s’est tournée plus récemment vers l’expérience patiente. S’appuyant sur le réseau national de maternités AURORE [2], plus de 600 femmes ont été interrogées sur leur vécu de leur accouchement. L’objectif : identifier et caractériser d’éventuelles violences obstétricales. « 5 à 7% des patientes sont vraiment insatisfaites de leur accouchement et on se rend compte qu’il y a eu peut-être dans leur histoire des événements mal-gérés, banalisés par les soignants et un défaut de prise en considération de leur douleur » explique la chercheuse.
…Pour améliorer la pratique des soins
Sa démarche de recherche s’inscrit donc avant tout dans une amélioration de pratique des soins en maïeutique. Aussi bien du point de vue de l’expérience des patientes que des conditions de travail des sages-femmes, dont le métier et les compétences ont évolué depuis le début des années 2000. C’est d’ailleurs pourquoi Corinne Dupont considère l’intégration de la formation de sage-femme à l’université comme une réelle opportunité [3].
En France, contrairement à d’autres pays européens, alors que le niveau académique requis pour l’entrée dans les écoles de sages-femmes est un des plus élevés, il n’existe pas de filière recherche qui permette aux sages-femmes d’explorer les questions spécifiques à leurs pratiques. Pourtant, de nombreux travaux de recherche ont permis de mieux comprendre certains processus pathologiques.
« Cette intégration à l’université et le développement de la recherche en maïeutique au sein d’équipes pluridisciplinaires permettront de centrer nos travaux sur la prévention, la physiologie du travail ainsi que sur le bien être des mères et celui des pères en post- partum, qui sont des champs peu explorés à ce jour » ponctue l’enseignante-chercheuse.
La maïeutique, une reconnaissance en construction
Cette nomination au poste de Professeure des universités récompense donc Corinne Dupont pour ses contributions à l’amélioration des soins en maïeutique. Celle-ci, souligne-t-elle, a reçu le soutien des doyens de la faculté de médecine Lyon-Est (le Pr COCHAT et le Pr RODES) et de Lyon-Sud (Pr. BURILLON), ainsi que celui du président de l’Université Claude Bernard Lyon 1, le Pr FLEURY, et de médecins « sans qui rien n’aurait été possible et [qu’elle] remercie sincèrement ».
Ce travail né de nombreuses collaborations illustre cette « belle complémentarité entre sages-femmes et médecins » ajoute-t-elle. Alors qu’elle débutait son activité de recherche à mi-temps, elle a notamment eu cette opportunité « grâce aux Professeurs Anne-Marie Schott et Antoine Duclos, qui [l’ont] accueillie et accompagnée au laboratoire RESHAPE ».
C’est aussi la reconnaissance d’une complémentarité entre recherche et pratique clinique indispensable à ses yeux. Pourtant, aujourd’hui la communauté de maïeutique ne dispose pas de ce double statut universitaire et hospitalier. Autrement dit, leur statut actuel mono-appartenant ne permet pas aux sages-femmes d’exercer leur spécialité tout en en menant des travaux de recherche, contrairement à d’autres disciplines médicales. Aujourd’hui encore, Corinne Dupont garde ce lien précieux avec les soignants et les patients grâce au réseau AURORE.
Par l’obtention d’un poste de Professeur à l’Université Claude Bernard Lyon 1, et avec la récente ouverture d’un CNU en maïeutique, Corinne Dupont ouvre peut-être la voie à une bi-appartenance pour sa profession. Sur ce sujet, l’intéressée se montre optimiste : « tout le monde est convaincu de l’intérêt de ce statut de bi-appartenance. Il faut du temps pour que cela puisse être possible, mais j’ai bon espoir que les choses évoluent en ce sens ».
[1] Ce projet a été mis en œuvre en collaboration ensuite avec l’unité INSERM Epopée de Paris
[2] Le réseau AURORE réunit 24 maternités en France avec le soutien du Pr Pascal GAUCHERAND, son coordinateur médical actuel.
[3] Conformément à la loi HPST de 2010
Un article de Matthieu Martin/Direction de la recherche et des écoles doctorales
Crédits photographies : Eric Le Roux/Direction de la communication
Laboratoire
Laboratoire de recherche sur la performance des soins (RESHAPE Université Claude Bernard Lyon 1)