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Claire Mouminoux : Prix de thèse SCOR 2019

Claire Mouminoux, qui a réalisé une thèse CIFRE entre l’entreprise AXA et le laboratoire SAF (Université Claude Bernard Lyon 1) [1], a reçu le prix de thèse 2019 SCOR. Cette entreprise d’assurance récompense chaque année la meilleure thèse en sciences de l’actuariat. Ce prix distingue les travaux originaux de Claire Mouminoux, à l’interface entre sciences de l’actuariat et micro-économie. Elle nous livre son expérience de thèse.


Peux-tu te présenter ?


Je suis originaire de Toulouse. Après le lycée je suis entrée à l’école d’économie de Toulouse, où j’ai fait une licence d’économie et mathématiques. J’ai ensuite suivi le Master Economics of Markets & Organizations (EMO), qui se consacre notamment aux études de la concurrence à l’aide de la théorie des jeux et la théorie des décisions individuelles. J’ai toujours beaucoup apprécié les mathématiques, notamment leur application à des problèmes concrets. Dès mes premières années à l’université j’ai découvert la micro-économie, et j’ai adoré ça. C’est une branche de l’économie qui modélise le comportement d’individus et d’entreprises, ainsi que leurs interactions dans des marchés. L’idée d’utiliser les mathématiques pour essayer d’expliquer, de comprendre des décisions humaines, cela m’a rapidement passionnée.

Après mon Master je voulais faire une thèse. Mon sujet est le résultat de rencontres plutôt inopinées. J’ai fait un stage de fin d’étude en entreprise chez AXA. J’avais à l’époque une piste pour faire une thèse à l’étranger, mais AXA m’a proposé une thèse CIFRE dans le département d’actuariat Direct Assurance, l’entité d’assurance en ligne d’AXA. J’ai ensuite rencontré Stéphane Loisel, Professeur à l’Université Claude Bernard Lyon 1. Nous nous sommes très vite très bien entendus, et le sujet qu’il m’a proposé m’a tout de suite intéressée. Il a laissé la place à beaucoup d’angle de recherche. Je suis donc arrivée dans le milieu de l’assurance, un peu par hasard, pour faire une thèse CIFRE entre AXA et le laboratoire SAF.

 

Sur quoi portait ta thèse ?


L’idée globale de ma thèse, c’est d’utiliser ce que l’on peut observer des décisions humaines pour mieux comprendre l’impact que cela a sur un marché, ici en l’occurrence le marché de l’assurance. Comme tout ce qui touche à l'humain, il s'agit de sujets complexes, necessitant souvent une approche pluridisciplinaire. Je me suis appuyée dans ma thèse sur des travaux de recherches de disciplines variées, comme les statistiques, l’économie, la psychologie,… Dans ce cadre, je me suis notamment intéressée à ce qu’on appelle les biais comportementaux, qui influencent les décisions en particulier en situation d’incertitude. 

Une des grands problématiques des assureurs est d’essayer de mesurer combien va lui coûter un assuré avant même que les sinistres arrivent. En effet, il est impossible de connaitre en avance la sinistralité future d’un assuré. Pour l’estimer, l’assureur définit des profils types en choisissant certaines variables. Par exemple en assurance automobile il va notamment utiliser le type de voiture, l’âge du conducteur, le nombre d’années de permis, … Les profils sont donc plus ou moins à risque, c’est-à-dire plus ou moins coûteux. Cependant, il existe aussi des variables comportementales, beaucoup moins prises en comptes  par les assureurs mais aussi plus difficiles à mesure. Si un individu choisit systématiquement le contrat le moins cher, que peut-on dire de son comportement, et comment cela va ensuite impacter le risque ? Pour bien comprendre ces mécanismes décisionnels, il est important de tenir compte de ces biais comportementaux. 

Je me suis par exemple intéressée à l’impact de la quantité et de la qualité de l’information sur la décision. Comment le consommateur se comporte face à une multitude de couvertures ? Dans une situation où je suis confrontée à trop d’informations, n’étant pas capable de tout prendre en compte, de tout comparer, je finis par réduire le problème. Je me ramène alors à des choses simples, comme le prix et je vais avoir tendance à choisir le prix le moins cher. C’est un biais comportemental basé sur un choix dit heuristique dû aux limites cognitives de l’humain, c’est-à-dire sa capacité limitée de traitement d’information. 

Une fois que l’on tient compte de ce biais, on examine la différence de comportement des personnes. Une quantité d’information (de choix) trop importante pousse l’assuré à choisir le prix le moins cher, mais il s’avère que pour les assurés plus averses au risque, cet effet est moindres. Au final, les assurés qui choisissent systématiquement le prix le moins cher sont des personnes beaucoup plus risquées en portefeuille. C’est une information importante à prendre compte, car il faut distinguer un individu dont le comportement est risqué d’un individu qui, au moment de faire son choix, avait un excès d’informations. A long terme, ce dernier risque de payer plus cher que ce qu’il devrait car sa décision était biaisée. De son côté, si l’assureur ne prend pas en compte ce type d’informations, il peut être amené à faire de grosses erreurs et proposer un prix ne permettant pas de couvrir les coûts des sinistres. Cela va donc impacter sa solvabilité sur le long terme.

 

Comment s’est organisée ta thèse entre un laboratoire et une entreprise ?


J’ai eu la chance d’avoir un manager et un directeur de thèse qui m’ont laissé une grande liberté dans la façon d’organiser mon temps. C’était très flexible tant que le travail était fait, ce qui m’allait très bien. Je pouvais organiser mon temps en fonction de l’avancement de mes recherches. Parfois, lorsque je bloquais sur ma thèse, aller en entreprise m’aidait à me remettre les idées au clair. A l’inverse, il y avait des périodes consacrées uniquement à la thèse, par exemple lors de mes expérimentations, ou lors de l’écriture d’une publication.

Et puis, il y a des échéances à gérer à la fois en entreprise et au laboratoire assez indépendantes, même si parfois elles tombent en même temps. Pour cela je pense qu’il aurait été difficile de m’imposer un emploi du temps strict pour mener à bien à la fois mes recherches et répondre aux attentes de l’entreprise. Au début ce double statut peut être difficile à gérer. L’entreprise est en attente de résultats concrets, et une thèse peut sembler parfois assez éloignée des préoccupations de ses employés. Mais finalement, je me suis rapidement fait ma place. 

 

Qu’est-ce que ce prix décerné par SCOR représente pour ?


D’abord, SCOR est une très grosse entreprise d’assurance reconnue en France et en Europe. Elle propose chaque année de récompenser une thèse et un mémoire en actuariat. J’ai découvert le prix SCOR lorsque j’étais chez AXA. Certains de mes stagiaires postulaient au prix du meilleur mémoire. Ma thèse se situait plutôt à l’interface entre l’actuariat et l’économie, c’était plutôt à double tranchant, mais je me suis dit « pourquoi pas ».

Quand j’ai appris que j’avais eu le prix, j’étais très honorée. Personnellement j’ai adoré mes années de thèse. Mais c’est toujours difficile de se faire une idée de la qualité et de l’intérêt de son travail. Ce prix me montre que des professionnels comme des académiques, qui composent le jury, ont vu un intérêt dans ma thèse, ce qui est vraiment gratifiant. Ce prix, c’est une certaine reconnaissance d’un travail de recherche pluridisciplinaire, qui se situe à l’interface ente actuariat et économie comportementale. C’est très encourageant pour recherches futures.

 

Quelles sont tes perspectives depuis la fin de ta thèse ?


Après un an et demi de post-doctorat au laboratoire SAF, j’ai obtenu un poste en janvier de visiting assistant professor aux Etats-Unis, à UCSB (University of California, Santa Barbara). C’est une bonne opportunité, ça permet aussi de montrer que je peux travailler dans d’autres environnements, mais j’aimerais bien ensuite obtenir un poste d’enseignante chercheuse en France. J’ai beaucoup aimé enseigner en parallèle de ma thèse. C’est stimulant de montrer aux étudiants que les outils statistiques et mathématiques que l’on apprend en cours peuvent réellement être utilisés sur des problématiques bien concrètes, et notamment le comportement humain.

[1] Laboratoire des Sciences Actuarielles et Financières  


Publié le 20 janvier 2020 Mis à jour le 25 février 2020