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À l’INL, la médecine se miniaturise

@ INL

Les laboratoires sur puces trouvent aujourd'hui des applications dans de nombreux domaines. Avec les progrès de la recherche, ils acquièrent de plus en plus de fonctions qui ouvrent des perspectives nouvelles. C'est le cas dans le domaine médical, avec l'objectif d'aller vers une médecine plus personnalisée. Éclairage avec Anne-Laure Deman, maîtresse de conférences à Lyon 1 et membre de l'INL.

Faire un test de grossesse, mesurer sa glycémie ou encore faire un dépistage Covid-19. Aujourd’hui, les exemples du quotidien ne manquent pas pour illustrer comment la science s’achemine au chevet du patient. Car à l’intérieur de ces petits boitiers anodins se cachent de véritables laboratoires miniaturisés. D’infimes quantités de liquides prélevées y sont manipulées et dirigées à travers un réseau de petits canaux pour les analyser. Dans le domaine de la santé, cette technologie nourrit de nombreux espoirs d’améliorer les tests diagnostiques, par exemple pour le cancer, et d’aller vers une médecine personnalisée.
 

De la micro-électronique à la cellule unique

Ces « laboratoires sur puce » qui tiennent dans la main sont aujourd’hui très répandus dans les laboratoires de recherche. Une conséquence de l’essor de la microfluidique. Cette science s’intéresse aux écoulements dans des canaux dont l’une au moins des dimensions est de l’ordre du micromètres à quelques dizaines de  micromètres – de l’ordre du diamètre d’un cheveu. Cette discipline émerge à la suite des développements, dans les années 80, en micro-électronique. Les techniques de fabrication des laboratoires sur puce sont d’ailleurs héritées des méthodes de micro-fabrication. Leur fabrication nécessite des lieux spécifiques, des « salles blanches », où l’air est filtré afin de limiter au maximum le dépôt de poussières - à l’échelle du millimètre, le moindre grain peut entraver l’écoulement du liquide. La microfluidique se démocratise dans les laboratoires à la suite de la découverte du PDMS (polydiméthylsiloxane), un matériau qui bénéficie de très bonnes qualités de mise en œuvre pour le micro-moulage.

Il devient alors possible de réaliser des expériences à moindre coût (moins de liquides, moins de matériaux), sur des systèmes facilement transportables pour aller sur toutes sortes de terrains (des mesures de la pollution d’eaux de rivière au diagnostic du cancer à l’hôpital). Puis, les techniques de micro-fabrication se développent pour répondre à de nouveaux besoins de la recherche. En particulier en biologie, des scientifiques voient dans les laboratoires sur puce l’opportunité de mener des expériences à l’échelle de la cellule. Une expertise développée depuis plusieurs années à l’Institut des Nanotechnologies de Lyon (INL)1.

Les laboratoires sur puce acquièrent également de nouvelles fonctions. Anne-Laure Deman, enseignante-chercheuse à Lyon 1, a ainsi développé à l’INL, avec son collègue Damien Le Roy de l’Institut Lumière Matière (ILM)2, un matériau fonctionnalisé permettant de manipuler et organiser des structures métalliques dans un réseau de canaux, en intégrant une fonction magnétique directement dans le PDMS.
 

Les cellules cancéreuses circulantes

C’est dans ce contexte que cette chercheuse a été contactée par le Léa Payen, Professeure à Lyon 1 et chercheuse au Centre pour l'innovation en cancérologie de Lyon (CICLY)3. Également médecin aux Hospices civils de Lyon, elle s’intéresse depuis quelques années aux cellules cancéreuses circulantes (CTC). Une fois échappées de la tumeur principale, ces cellules, en circulant dans le sang, atteignent d’autres régions de l’organisme et créent des métastases. Récupérer et analyser les CTC est donc crucial pour comprendre cette étape clé du développement du cancer. Traditionnellement, les médecins recourent à la biopsie tissulaire pour accéder à la tumeur. Un procédé qui reste très invasif pour le patient et qui ne s’applique pas à certains types de cancers. C’est pourquoi, depuis quelques années, l’intérêt se porte davantage sur la biopsie liquide. En effet, les CTC sont - en théorie - accessibles à partir d’une prise de sang. Seulement, en pratique, pour un millilitre de sang prélevé, on retrouve une centaine de CTC pour des millions de globules blancs et des milliards de globules rouges. Autant chercher une aiguille dans un botte de foin.

D’autant qu’à l’échelle de la cellule - le micromètre -, manipuler des écoulements n’est pas si simple. La microfluidique est régie par des lois physiques particulières, différentes de notre propre expérience. À l’échelle du micromètre, les écoulements sont dits « laminaires », c’est-à-dire que le fluide ne se mélange pas, contrairement à un écoulement turbulent. Une contrainte non des moindres, lorsque l’on veut par exemple séparer avec précision des espèces chimiques, trier des cellules, ou mélanger des liquides entre eux. Pour surmonter ces contraintes, les scientifiques doivent souvent redoubler d’imagination.

Or, s’il existe des systèmes capables de collecter les CTC à partir d’une goutte de sang, aucun n’est actuellement satisfaisant. « L’objectif est d’obtenir un échantillon de CTC pur – avec très peu de globules blancs –, dans des temps compatibles avec les besoins des procédés d’analyses cliniques », résume Anne-Laure Deman. « Or, aucun système commercialisé n'est satisfaisant de ce point de vue » ajoute-t-elle.

Grâce à la technique qu’elle a développée à l’INL, en collaboration avec Damien Le Roy (ILM), les chercheurs ont récemment mis au point un laboratoire sur puce capable de piéger les globules blancs à l’aide de forces magnétiques. Une phase de tri qui vient compléter une première sélection effectuée avec le système commercial Clear Cell FX1 dont les Hospices civils de Lyon sont équipés. Résultat : « notre système élimine 99,99% des globules blancs, et est suffisamment rapide pour analyser les CTC ultérieurement. Nous avons d’ailleurs effectué des tests aux HCL pour montrer que ces CTC ainsi récupérés restent viables », souligne Anne-Laure Deman. À présent, la chercheuse souhaite aller plus loin pour réunir les deux étapes de tris en un seul système intégré, afin de limiter les risques de pertes lors du changement de système.
 

Entre médecine personnalisée et médecine durable

Aller vers des micro-systèmes entièrement intégrés, au chevet du patient, c’est d’ailleurs la promesse faite depuis plus de dix ans avec ces laboratoires sur puce. Des outils qui permettent d’effectuer des tests individuels adaptés au patient, dans une optique de médecine personnalisée, seraient complémentaires des analyses cliniques classiques. « Il reste néanmoins à lever des verrous technologiques, et c’est l’enjeu de nos recherches », précise Anne-Laure Deman. À l’hôpital, nombre d’analyses nécessitent encore souvent des équipements lourds et couteux. Par ailleurs, les laboratoires sur puce ont une contrepartie importante : la production des déchets. Car ces dispositifs sont à usage unique et fabriqués à partir de matières plastiques. Un défi donc à relever afin de concilier médecine personnalisée et durable.

Dans cette optique, l’un des projets de thèse en cours à l’INL, en lien avec IMP vise à développer des laboratoires sur puce à partir de matériaux bio-sourcés. Notamment en exploitant la chitosane, un polysaccharide très abondant issu de la valorisation des déchets de l'industrie des produits de la mer.

 

Les laboratoires sur puce à l'INL :

Le groupe Lab-On-Chip et Instrumentation de l’équipe Dispositifs pour la Santé et l’Environnement de l’INL développe des systèmes fluidiques pour une variété d’applications. En jouant notamment sur la taille ou la géométrie des canaux, sur l’intégration d’hydrogels physiologiques, de polymères composites électriques ou magnétiques ou encore en développant des organes sur puces, l’équipe cherche à étudier des agents biologiques particulaires tels que des cellules humaines, des algues ou des spores de champignons phyto-pathogènes. Ces objets sont sollicités physiquement (mécaniquement, électriquement, optiquement, etc… ) afin de les manipuler, les détecter ou les caractériser. Les applications actuellement adressées sont d’ordre biomédicales, par exemple le diagnostic et le suivi thérapeutique de pathologies telles que le paludisme, divers cancers, des maladies liées à l’intestin, ou d’ordre environnemental comme l’analyse de la présence de polluants dans les rivières ou une meilleure connaissance des propriétés de spores de champignons phyto-pathogènes afin de mieux les combattre. L’équipe s’intéresse également au développement des techniques de microfabrication innovantes en utilisant l’électro-érosion ou la xurographie pour préparer des microsystèmes, ou encore au développement de polymères biosourcés comme nouveaux matériaux pour la puce elle-même.



Référence :

L. Descamps, J. Garcia, D. Barthelemy, E. Laurenceau, L. Payen, D. Le Roy, A.-L. Deman, MagPure chip: an immunomagnetic-based microfluidic device for high purification of circulating tumor cells from liquid biopsies, Lab On a Chip (2022), DOI: 10.1039/D2LC00443G.
 


1 Institut des nanotechnologies de Lyon (INL - INSA Lyon/CNRS/École centrale Lyon/CPE Lyon/Université Lyon 1)
2 Institut Lumière Matière (ILM - CNRS/Université Lyon 1)
3 Centre pour l'innovation en cancérologie de Lyon (CICLY - Université Lyon 1)


Publié le 5 janvier 2023