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Justine Bacchetta : mieux prendre en charge les atteintes osseuses des maladies rénales chez l'enfant

Justine Bacchetta est Professeure de néphrologie pédiatrique à l’Université Claude Bernard Lyon 1 et spécialisée dans les atteintes osseuses causées par les maladies rénales rares. Chercheuse au LYOS, elle s’attaque à ces maladies génétiques qui touchent des enfants dont le quotidien s’en trouve lourdement impacté.

Chez un jeune adulte, le squelette se renouvelle entièrement en moyenne tous les dix ans. Pour se faire, deux éléments sont essentiels à notre organisme : le calcium et le phosphate. « S’ils sont mal régulés, ils peuvent notamment entraîner des atteintes osseuses », explique Justine Bacchetta, néphrologue pédiatre et spécialiste des atteintes osseuses de la maladie rénale chronique et des maladies rénales rares.
 

Les atteintes osseuses des maladies rénales, un lourd impact sur la qualité de vie

Mais quel lien entre la néphrologie et les atteintes osseuses ? Toute la régulation fine du calcium et du phosphore se passe dans le rein, un organe qui assure la filtration du sang. Lorsqu’il dysfonctionne, l’organisme régule mal les concentrations de phosphore et de calcium, ce qui peut avoir des conséquences sur l’os et sur les vaisseaux.

C’est le cas dans certaines maladies génétiques, comme l’hypophosphatémie liée à l’X (XLH), une maladie peu connue et très rare – environ 1 naissance sur 20 000. Le rein des enfants qui en sont atteints devient une « passoire » laissant passer le phosphore, entrainant de multiples complications dès le plus jeune âge.

Retard de croissance, malformation des jambes et du crâne, démarche anormale, anomalies dentaires, ces symptômes se manifestent rapidement chez l’enfant.  En grandissant, ce dernier développe des complications très spécifiques, comme des calcifications au niveau des tendons, source de fortes douleurs. « Sur des échelles de qualité de vie ou de douleur, on constate que les adultes avec XLH ont de moins bons scores que des personnes atteintes d’une spondylarthrite ankylosante, ou d’une polyarthrite », souligne Justine Bacchetta. Le quotidien et la qualité de vie de ces patients sont ainsi très fortement impactés, et ce dès le plus jeune âge.

Justine Bacchetta en salle de dialyse dans le service de néphrologie pédiatrique de l’Hôpital Femme Mère Enfant
Justine Bacchetta en salle de dialyse dans le service de néphrologie pédiatrique de l’Hôpital Femme Mère Enfant

Justine Bacchetta en salle de dialyse dans le service de néphrologie pédiatrique de l’Hôpital Femme Mère Enfant. © Éric le Roux.
 

La recherche en pédiatrie : des alternatives non-invasives indispensables

PUPH à l’UCBL et aux Hospices Civils de Lyon, les recherches qu’elle mène actuellement sont ainsi directement liées à son quotidien de pédiatre. « Lorsque j’ai commencé à travailler sur les atteintes osseuses des maladies rénales, on ne parlait que de maladie rénale au sens large, sans se rendre compte de l’impact osseux direct possible de la maladie génétique sous-jacente. Et pourtant, cela a désormais des conséquences thérapeutiques directes, et nous l’espérons encore plus dans le futur » se rappelle la chercheuse.

Après avoir intégré le Laboratoire Physiopathologie, diagnostic et traitements des maladies musculo-squelettiques (LYOS - Université Claude Bernard Lyon 1/Inserm), le laboratoire historique de l’os à Lyon, elle s’est peu à peu spécialisée dans les atteintes osseuses de ces maladies pédiatriques rares qui touchent le rein. Très tôt, elle travaille sur des alternatives non-invasives.

Les maladies rares ont très souvent une origine génétique. Aussi, pour mieux comprendre comment une mutation génétique peut affecter l’os, les scientifiques ont besoin d’accéder aux ostéoclastes (les cellules osseuses qui participent au renouvellement continu de l’os en le « résorbant ») des patients. Or, les techniques conventionnelles (biopsie osseuse, prélèvement de sang de 250 mL) restent trop invasives pour être appliquées en pédiatrie.
 

Des regards croisés pour améliorer le quotidien des enfants 

C’est en croisant les regards entre cliniciens et chercheurs que Justine Bacchetta commence à entrevoir des solutions. En particulier grâce à un « binôme clinicien-chercheur » précieux aux yeux de Justine Bacchetta pour faire avancer la recherche médicale. Ainsi Irma Machuca-Gayet chercheuse CNRS au LYOS, a développé une technique permettant de récupérer des monocytes circulants du sang pour les différencier en ostéoclastes.

À partir d’un prélèvement de 25 mL de sang (au lieu de 250 mL avec des techniques standards), la chercheuse est capable d’étudier ce qu’il se passe dans la cellule osseuse du patient atteint d’une maladie génétique, mais aussi de tester l’effet de certains médicaments à la fois sur le processus de différenciation et sur l’activité de ces cellules. Justine Bacchetta et Irma Machuca-Gayet ont ainsi montré dans le cas de la cystinose – une autre maladie rénale rare qui affecte l’os – que l’atteinte osseuse ne découlait pas simplement de l’insuffisance rénale, mais que la mutation génétique en cause entrainait des lésions osseuses spécifiques.

Irma Machuca-Gayet avec l’Incucyte SX3, machine ultra-performante de biologie cellulaire acquise grâce à des financements sur l’atteinte osseuse de la cystinose
Irma Machuca-Gayet avec l’Incucyte SX3, machine ultra-performante de biologie cellulaire acquise grâce à des financements sur l’atteinte osseuse de la cystinose

Irma Machuca-Gayet avec l’Incucyte SX3, machine ultra-performante de biologie cellulaire acquise grâce à des financements sur l’atteinte osseuse de la cystinose. © M. Martin.


Les chercheuses ont également pointé un phénotype inflammatoire spécifique lié à la maladie XLH. À partir de modèles cellulaires, elles ont montré que l’inflammation était liée à la dérégulation d’une protéine particulière, la protéine FGF23.

Pour aller plus loin, Justine Bacchetta compte s’appuyer sur ces résultats pour tester chez la souris des moyens d’empêcher la survenue d’enthésopathies, une réaction inflammatoire source de fortes douleurs pour les patients touchés par le XLH. Elle a d’ailleurs reçu un soutien de l’Université Claude Bernard Lyon 1 pour mener à bien son projet, en tant que lauréate de l’appel à projets interne Étoiles1.
L’objectif de ces projets de recherche translationnelle étant de pouvoir appliquer au plus vite les connaissances acquises sur les modèles cellulaires et animaux au patient.
 

Faire évoluer les recommandations médicales au bénéfice des patients

Ainsi, les recommandations de bonne pratique clinique de la société européenne de néphrologie pédiatrique intègrent les nouvelles connaissances sur les atteintes osseuses apportées par la recherche, et visent à améliorer la prise en charge diagnostique et thérapeutique chez les patients. Justine Bacchetta participe d’ailleurs actuellement à la mise à jour des recommandations sur la cystinose et le XLH au niveau international.

Coordinatrice du centre de références des maladies rares du calcium et du phosphate à Lyon, l’intéressée souligne la forte structuration du site lyonnais dans l’étude et la prise en charge de ces maladies. En effet, plusieurs spécialités aux Hospices Civils de Lyon et à l’Université Claude Bernard Lyon 1 s’investissent ainsi sur ces maladies (pédodontie, neurochirurgie, néphrologie, rhumatologie, et orthopédie), et notamment sur le XLH qui reste une maladie encore mal comprise.

« C’est là la force de Justine de savoir fédérer et animer un groupe en donnant sa place à chacun et je pense que c’est important. Et c’est ce qui est efficace. On a envie d’avancer ensemble », conclut Irma Machuca-Gayet.
 


1 Les travaux de Justine Bacchetta autour de l’atteinte osseuse du XLH et de la cystinose sont soutenus par la Cystinosis Research Foundation, l’Agence Nationale pour la Recherche, l’association de patients AIRG, Kyowa Kirin et l’Université Claude Bernard Lyon 1.

Publié le 8 février 2024 Mis à jour le 12 février 2024