Publication scientifique


Comment les cellules s'auto-assemblent pour gérer une ressource limitée

Des cellules vivantes peuvent s’auto-assembler en domaines de taille finie, un phénomène de micro-séparation de phase qui n’était connu jusqu’à présent que dans la matière inerte. Ces résultats sont publiés dans la revue Nature Communications.

Dans un environnement aux ressources limitées, des cellules vivantes misent sur le collectif et s’auto-organisent pour gérer au mieux l’accès à l’oxygène.

L’auto-organisation est le processus par lequel la matière se structure spontanément. Ce phénomène apparait aussi bien dans des systèmes physiques, chimiques que biologiques. Un des mécanismes les plus connus est la micro-séparation de phase, qui aboutit à la formation de domaines avec une taille d’équilibre. Cette auto-organisation résulte d’une compétition entre des interactions contraires entre différents éléments d’un système. Le plus souvent, une attraction à courte portée est contrebalancée par une répulsion à longue portée, induisant des domaines de taille intermédiaire. Ce mécanisme a été identifié dans plusieurs systèmes physiques : superconducteurs, films magnétiques, cristaux liquides, colloïdes. En revanche, il s’agissait jusqu’à présent uniquement de matière inerte.

Un groupe de biophysiciens de l’Institut Lumière Matière (ILM – CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1) vient de démontrer une micro-séparation de phase de cellules vivantes, qui forment spontanément des domaines de taille finie lorsque la disponibilité de l’oxygène est limitée. Ce travail est publié dans la revue Nature Communications.

En étudiant des cellules motiles, placées sur un substrat plan, et sous un film liquide de hauteur millimétrique, les chercheurs ont constaté que les cellules s’organisent spontanément en amas denses. Les données révèlent que la taille des domaines (de l’ordre de 0.1 mm) dépend essentiellement de la disponibilité de l’oxygène, qui doit diffuser, à travers le film, depuis l’air jusqu’aux cellules. Moins il y a d’oxygène disponible, plus petits sont les domaines.

Pour comprendre la formation des agrégats, les auteurs ont simulé des milliers de cellules en interaction. Dans le modèle, chaque cellule se déplace, adhère à ses voisines, consomme de l’oxygène et lorsque celui se fait rare, se déplace vers des régions plus oxygénées, un comportement dit aérotactique. Ces ingrédients minimaux suffisent à produire une micro-séparation de phase. Comme une attraction de courte portée, l’adhésion entre cellules favorise la formation de domaines. Néanmoins, la consommation étant plus forte au sein des agrégats, la concentration en oxygène y est plus faible. Lorsque le domaine atteint une taille critique, les cellules déclenchent l’aérotaxie et fuient au dehors pour retrouver l’oxygène, un comportement équivalent à une répulsion de longue portée. Il en résulte pour les domaines une taille d’équilibre, que l’on peut prédire.

Ce travail met un évidence un nouveau mécanisme d’auto-organisation des cellules par gradients auto-générés, un phénomène qui pourrait potentiellement être à l’œuvre dans de nombreux systèmes vivants – des bactéries aux cellules eukaryotes -- parce que les ingrédients essentiels sont très répandus.  Cette étude invite aussi à revisiter certains phénomènes d’auto-organisation, en particulier dans le développement embryonnaire et dans l’apparition de la multicellularité.

Actu ILM
Actu ILM

Assemblée quasi-bidimensionnelle de cellules qui s’auto-organisent spontanément en amas compacts (zones sombres), avec une taille typique de 0.1 mm (A-B). Les simulations (C) révèlent que le mécanisme est une micro-séparation de phase.

 

Référence

Microphase separation of living cells. A. Carrère , J. d’Alessandro, O. Cochet-Escartin, J. Hesnard, N. Ghazi, C. Rivière, C. Anjard, F. Detcheverry , and J.-P. Rieu, Nature Communications (2023)
doi : https://doi.org/10.1038/s41467-023-36395-2


 

Publié le 14 février 2023 Mis à jour le 21 février 2024