Chérifa Boukacem-Zeghmouri, nouvelle référente Science Ouverte
Cette enseignante-chercheuse en sciences de l'information - communication instruira les questions majeures autour d'une diffusion ouverte des savoirs scientifiques produits par l'université Lyon 1.
D’où vous vient cet intérêt pour la communication scientifique ?
La question de l’accès aux savoirs, notamment aux savoirs scientifiques, s’est très vite retrouvée au cœur de mon parcours universitaire. Elle s’est ensuite liée à la question du numérique, à l’époque où Internet faisait ses premiers pas. Cela m’a amenée à étudier en thèse les mutations qu’opéraient les bibliothèques au moment où leurs collections de revues basculaient du papier au numérique. Je m’intéressais à la façon avec laquelle la diffusion des articles scientifiques, organisée dans les bibliothèques universitaires, se transformait avec l’essor de bouquets de revues numériques.
Cette question de l’accès aux savoirs scientifiques a ensuite structuré mes travaux d’enseignante-chercheuse à Lille 3, puis à l’université Claude Bernard Lyon 1 au sein du laboratoire ELICO (1). Les recherches auxquelles j’ai participé ont notamment permis d’observer de nouveaux modes de consommation de l’information scientifique développés par les chercheurs et chercheuses sous l’impulsion du numérique. Leur fréquentation des bibliothèques a diminué tandis que se développaient de nouvelles pratiques numériques qui allaient faire le lit d’une évolution des modèles de publication et de diffusion de l’information scientifique, renforcée par la montée du Libre Accès (Open Access en anglais).
Libre Accès et Science Ouverte, quelle différence ?
Le Libre Accès est d’abord un mouvement militant qui a émergé dans les années 80. Il s’agit avant tout de la volonté de donner aux chercheur·euse·s et aux citoyen·ne·s un accès libre et sans entrave à la publication scientifique. Cette dernière redeviendrait alors un commun des connaissances. Dans les années 2000 la question du libre accès à la publication, de plus en plus visible et légitimée politiquement, s’est étendue aux données (Open Data). A partir de 2010, elle s’étend à d’autres pans du cycle de la recherche pour rejoindre le cadre plus large des Sciences Ouvertes. Il s’agit d’un concept plus englobant, « parapluie » diront certains, qui comprend l'Open Access, l’Open Data, l’Open Notebook, et plus largement les sciences citoyennes.
Il s’agit d’un mouvement dont la dimension sociale est profondément ancrée dans le numérique. C’est pourquoi, du fait de sa forme physique, le format papier n’était pas compatible avec cette idée. Les sciences ouvertes ne peuvent s’incarner dans leur définition contemporaine, qu’à travers des dispositifs numériques (plateformes, infrastructures…). Cela met en jeu des médiations sociotechniques, elles-mêmes liées à des enjeux économiques, juridiques et politiques. Penser les sciences ouvertes implique de penser aussi ces enjeux. A ce titre, le plan S a suscité de nombreux débats (2).
Pourriez-vous nous en dire plus ?
Les questions qui ont nourri le débat autour du Plan S portent sur l’accélération de l’offre des revues Open Access relevant de la voie dorée (Gold). Leur modèle économique repose sur l’auteur-payeur. L’accès est libre pour le lecteur, mais l’auteur paie les frais de publication. Or, le plus souvent, ce sont les projets de recherche ou les budgets des laboratoires qui financent ces nouveaux modèles de publication.
Le Gold auteur-payeur, que le plan S encourage indirectement, est donc une nouvelle source de financement pour les éditeurs historiques qui travaillent à la transition vers un modèle de publication en Open Access. C’est pour eux d’autant plus important qu’ils sont confrontés à la montée de nouveaux éditeurs dont les portefeuilles de revues sont exclusivement Open Access.
Quelles conséquences pour les chercheuses et chercheurs, et pour la production scientifique ?
L’une des questions les plus débattues est celle de l’inégalité des auteurs et autrices face au prix de publication. Celui-ci peut atteindre plusieurs milliers d’euros pour un article. L’inégalité dans l’accès à l’information qui était devenue le lot des lecteurs pourrait se déplacer vers une inégalité entre auteurs face à la publication. D’où l’importance d’une « biblio-diversité » des modèles de publications qui garantirait un écosystème diversifié où chacun, selon son contexte, peut trouver le modèle le plus adapté.
Le débat autour du plan S a, selon moi, mis en lumière un autre point important : le rôle des agences de moyens dans la redéfinition des modèles de publication. Elles s’appuient sur l’Open Access pour améliorer la visibilité de leurs actions de financement. Nous sommes aujourd’hui dans une économie de l’accès. Ce qui compte, c’est ce qui est visible ; ce qui a de la valeur, c’est ce qui est accessible. Renforcer sa visibilité, c’est donc renforcer aussi sa crédibilité et sa légitimité en tant qu’acteur décisionnel. Or, parmi ces agences de moyens se trouvent aussi des agences comme la Bill & Melinda Gates, dont le poids dans le financement de la recherche est loin d’être négligeable.
Et quels enjeux pour les BU ?
Les bibliothèques universitaires (BU) ont su accompagner la transition de la communication scientifique vers le numérique. En intégrant les bouquets de revues numériques dans leurs collections, elles ont développé tout un savoir-faire autour de la gestion des contenus. Elles ont également su redéfinir leurs missions et repenser leur rôle pour soutenir le Libre Accès. Notamment avec le déploiement des archives ouvertes et aujourd'hui en soutien aux sciences ouvertes.
Elles dépassent donc le paradigme de la collection pour gérer des politiques d’accès à des ressources numériques. Aujourd’hui, les BU vont plus loin. Elles négocient avec les éditeurs des accords « Transfer Agreements » qui comprennent des modalités nouvelles d’accès, mais aussi des accords de publication « Read & Publish ». Cela permet aux lecteurs d’avoir accès librement à des revues, et aux auteurs de publier dans certaines revues sans s’acquitter des coûts de publication.
En tant que référente Science Ouverte, quel sera votre rôle ?
Le ou la référente Science Ouverte a pour rôle d’instruire les questions majeures de la Science Ouverte pour proposer à la gouvernance de l’université des orientations et des actions, adaptées aux spécificités de l’établissement et en accord avec le Plan National pour la Science Ouverte défini en 2018 et la politique européenne. Cette démarche prend en compte la pluralité des acteurs de l’établissement ainsi que leurs préoccupations pour permettre à la mise en œuvre de la politique locale de se faire dans le dialogue et la cohésion. Elle prend également en compte les acteurs locaux et nationaux qui construisent le paysage de la Science Ouverte. Le soutien au développement du Libre Accès, aux publications scientifiques, et l’accompagnement à la gestion et à l’ouverture des données de la recherche, figurent parmi les axes majeurs qui structureront la feuille de route pour une diffusion ouverte des savoirs scientifiques produits par l’établissement.
La dimension disciplinaire est très importante car l’ouverture ne peut s’envisager de la même manière dans tous les domaines. Par exemple, l’ouverture des données de la recherche ne peut pas se faire de la même façon en mathématiques, en recherche clinique ou bien encore en chimie. Nous devons donc prendre en compte les spécificités des domaines de recherche, de leurs objets de recherche, leurs méthodes. C’est donc aussi une garantie pour l’engagement durable des communautés de chercheurs dans des pratiques d’ouverture.
Dans cette lignée, vous avez aussi créé un nouveau master…
Oui, le Master Mention Information et Médiation Scientifique et Technique (IMST), et de son parcours Epistémologie et ingénierie de la Sciences Ouvertes, a été créé avec le soutien de l’université Claude Bernard Lyon 1. Nous accueillerons la première promotion à la rentrée 2020. Le Master est destiné à former des cadres aux problématiques des sciences ouvertes et aux compétences associées. Le Master porte une attention toute particulière à la question de la communication scientifique numérique.
Les opportunités et les perspectives de la professionnalisation pour le Master sont importantes, aussi bien dans le domaine public que privé. Des postes intègrent déjà des tâches ou missions relatives aux Sciences Ouvertes. On voit également poindre des postes entièrement dédiés dans le paysage professionnel, en France et à l’étranger : médiateur scientifique numérique, conseiller aux sciences ouvertes, formateur, chargé de valorisation de la production scientifique...
Le Master, adossé aux unités de recherche ELICO et S2HEP (3), forme également à la recherche. Cela représente donc également un vivier pour de futurs doctorant(e)s souhaitant s’emparer des problématiques contemporaines de la science, questionnées par les enjeux de son ouverture.
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(1) Équipe de recherche de Lyon en sciences de l’Information et de la Communication (ELICO - Université Lumière Lyon 2 / Université Claude Bernard Lyon 1 / Université Jean Moulin Lyon 3 / IEP Lyon / ENSSIB)
(2) Plan S :
Le plan S (septembre 2018) est une coalition des principales agences de financements de la recherche européennes, dont l’Agence Nationale pour la Recherche (ANR) française qui a formalisé l’obligation d’un accès libre aux publications des recherches financées, et ce à partir de 2021. Les données sont également concernées, dans un principe « aussi ouvertes que possibles, aussi fermées que nécessaire ».
(3) Sciences, société, historicité, éducation et pratiques (S2HEP - Université Claude Bernard Lyon 1)