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La coupe du monde 2019 : un tournant pour les femmes dans le football ?

Une équipe du laboratoire L-VIS* mène actuellement un projet de recherche sur l'impact et l'héritage sociaux de la Coupe du Monde Féminine de la FIFA, France 2019™ sur le football pratiqué par des femmes.


Elle est la coupe du monde la plus suivie de l’histoire du football pratiqué par des femmes. Battant des records d’affluence dans les stades et d’audience dans plusieurs pays. Au-delà des prouesses sportives, la Coupe du Monde Féminine de la FIFA, France 2019™ a aussi dirigé les projecteurs sur les inégalités dans le sport entre femmes et hommes. Mais quelle trace cet événement mondial laissera-t-il dans les mentalités ? Une équipe de recherche du laboratoire sur les vulnérabilités et l’innovation dans le sport (L-VIS - Université Claude Bernard Lyon 1) mène actuellement une étude pour donner des éléments de réponse.

Coup de projecteur sur les inégalités dans le football

La médiatisation à échelle planétaire du football pratiqué par des femmes a permis, le temps de la compétition, de mettre en exergue des inégalités liées au système de genre véhiculées dans le football. Comme tout environnement social basé sur une division (par exemple femme/homme) et une hiérarchisation des individus (rôles, comportements valorisés et valorisables), le sport contribue à mettre en situation de vulnérabilité ou au contraire à renforcer ces individus. A ce titre, la question du genre dans le sport constitue un axe de recherche du laboratoire sur les vulnérabilités et l’innovation dans le sport (L-VIS – Université Claude Bernard Lyon 1).

Megan Rapinoe, capitaine de l’équipe des Etats-Unis, élue meilleure joueuse du mondial 2019. Elle s’illustre également par son engagement dans la défense de l’égalité des salaires entre femmes et hommes dans le football


Ainsi, des chercheurs et chercheuses du laboratoire se sont intéressées à l’impact et à l’héritage sociaux que laissera la Coupe du Monde Féminine de la FIFA, France 2019™. « L’impact désigne les conséquences directes, temporaires et qui tendent à progressivement disparaître avec le temps. A l’inverse, l’héritage désigne des conséquences durables » explique Cécile Ottogalli-Mazzacavallo, responsable de l’étude. Cet événement sportif international contribuera-t-il alors à renforcer ou à réduire les vulnérabilités liées au sexe dans le football ? Permettra-t-il de transformer les représentations et normes sociales pour favoriser le football pratiqué par des femmes ?

Lorsque l’équipe de recherche a abordé la question de l’impact social de la coupe du monde 2019, elle a identifié peu d’articles de recherche sur le sujet. « La plupart des études d’impact sur les grands événements sportifs se concentrent davantage sur l’impact économique, et peu sur les impacts sociaux et écologiques » souligne Virginie Nicaise. En orientant le projet autour des questions de genre dans le football, l’équipe de recherche propose alors une approche originale, qui lui a valu un financement à la suite d’un appel à projet du comité d’organisation local de la FIFA.
 

Une approche STAPS pluridisciplinaire

Cette vaste étude démarrée en 2019 interroge l’impact et l’héritage de cette coupe du monde selon 3 axes à la fois bien distincts et liés entre eux.

D’abord les représentations sociales des populations non-spécialistes du football. A partir d’enquêtes menées avant la coupe du monde, juste après la fin de la compétition, et un an après, l’équipe de recherche évalue sur la base d’un ensemble de données sociogéographiques l’évolution des mentalités à l’égard du football pratiqué par des femmes.

Le deuxième axe d’étude concerne les politiques menées au sein des clubs de football. A l’aide de questionnaires, il s’agit de cerner la perception que les clubs ont eu de cet événement sportif, et les conséquences en matière d’investissements dans le football pour les femmes.

Enfin, le dernier axe se concentre sur l’impact sur les politiques publiques territoriales des villes : attributions de budgets et d’équipements, subventions aux clubs et actions de communication autour du football pour les femmes. L’équipe de recherche mènera des entretiens auprès des services des sports et services égalité de 4 mairies parmi les villes hôtes de la Coupe du Monde Féminine de la FIFA, France 2019™. Ce travail de terrain vise à évaluer l’impact de l’événement sur les représentations et politiques des décideurs locaux du football pratiqué par des femmes.

Cette étude menée par quatre universitaires* s’appuie ainsi sur des analyses quantitatives et qualitatives, et sur des compétences complémentaires : psychologie sociale, gestion et mangement, histoire et études sur le genre. Ce regard pluridisciplinaire propre aux recherches en sciences du sport permet d’aborder une question aussi complexe que l’impact social d’un événement sportif et positionne l’originalité de ce projet de recherche. Ainsi dans la dynamique de cet événement, Cassandre Rivrais (Doctorante au L-Vis) réalise un travail d’analyse des stratégies, de la diffusion et des effets des politiques en faveur du développement du football pratiqué par les femmes : comparaison entre la France et le Canada.
 

(de gauche à droite) Virginie Nicaise, Cassandre Rivrais et Cécile Ottogalli lors de la demi-finale Pays-Bas / Suède de la Coupe du Monde Féminine de la FIFA, France 2019™
 

 

A la recherche de signes de changement

Alors ces grands événements sportifs sont-ils réellement vecteurs de changement social ? En attendant, cette étude d’impact viendra certainement nuancer des discours souvent très positivistes. « Il y a souvent un imaginaire assez positif autour de ces grands rendez-vous sportifs, orienté par un discours politique centré sur les bénéfices économiques, notamment en raison du tourisme » souligne Virginie Nicaise. Or, les rares études attachées aux impacts sociaux et écologiques montrent une réalité différente. Ainsi une étude[1] a mis en avant le mécontentement des londoniens pendant les jeux olympiques 2012 (pollution, bruit, congestion dans les transports…).

De la même façon, l’étude menée au L-VIS viendra certainement relativiser l’impact et l’héritage sociaux de cette édition 2019. Pour Cécile Ottogalli-Mazzacavallo, des croyances sur « le mythe de l’égalité déjà là » font obstacle à une prise de conscience des inégalités à l’œuvre, et à une transformation des pratiques à l’égard des femmes. « Beaucoup considèrent que l’égalité entre hommes et femmes est en fait déjà acquise et ne prennent pas la peine d’objectiver précisément les faits » explique la chercheuse.

Changer cette croyance prend du temps. Pour les scientifiques, une solution pour faire évoluer les mentalités passe notamment par la formation. En ce sens, l’équipe de recherche est particulièrement attentive aux nouvelles initiatives de formation qui découleront de l’enthousiasme suscité par la coupe du monde. Au-delà de l’étude, « il s’agit d’identifier les éléments qui permettent d’être optimiste sur le fait que le changement viendra » concluent les chercheuses. En effet, l’égalité ne va pas de soi. Cela ne s’improvise pas et renvoie à un véritable apprentissage. A ce titre, rappelons que l’Université de Lyon1 propose un parcours de master, unique en France, nommé Egal’APS dont l’objectif est de former les professionnelles et professionnels du sport aux questions d’égalité.



Virginie Nicaise : Enseignante – chercheuse au L-VIS, elle enseigne en Licence à l’UFR STAP et co-dirige la première année du Master Egal’APS. Elle mène des recherche en STAPS sous l’angle de la psychologie sociale. Ses thématiques de recherche abordent l’influence de facteurs environnementaux et sociaux sur le sport en contexte éducatifs, thérapeutiques et de haut niveau.



Cécile Ottogalli-Mazzacavallo
 : Enseignante – chercheuse au L-VIS, elle enseigne dans la mention du Master Etudes de genre, et est responsable du Master EGAL’APS. Ses recherches axées sur le genre adoptent un point de vue d’historienne du sport et du genre. Ces travaux abordent le rôle des institutions sportives et scolaires dans l’apprentissage du devenir femme ou homme au cours du 20ème siècle dans et par les APS.



Le projet de recherche Impact et héritage CDMF 2019 compte deux autres membres titulaires :

Epron Aurélie : Enseignante – chercheuse au L-VIS, anthropo-historienne des jeux et des sports.

Bodet Guillaume : Enseignant – chercheur au L-VIS, il enseigne le Marketing et Management du Sport au sein du Département de Management des Organisations Sport (MOS) de l'UFR STAPS de Lyon-1 et co-dirige la deuxième année du Master en Management des Organisations Sportives.


*Laboratoire sur les vulnérabilités et l'innovation dans le sport (L-VIS - Université Claude Bernard Lyon 1)



[1] Kenyon, J. A., & Bodet, G. (2018). Exploring the domestic relationship between mega-events and destination image: The image impact of hosting the 2012 Olympic Games for the city of London. Sport Management Review, 21(3), 232-249. 


Publié le 22 juin 2020 Mis à jour le 30 juin 2020