Habiter la Terre, question centrale pour Isabelle Daniel
Isabelle Daniel, Professeure à L’université Lyon 1 et directrice de l’Observatoire de Lyon, a été nommée par l’Academic Influence parmi les 10 personnalités scientifiques les plus influentes en géologie, un domaine qui nous concerne toutes et tous !
« Je ne suis pas quelqu’un qui se contente de rester là où on l’a installée » nous confie avec malice Isabelle Daniel. Ce qui constitue un trait de sa personnalité a également dessiné sa conduite de recherche tout au long de sa carrière, qui se voit aujourd’hui récompensée par l’Academic Influence.
Originaire d’Ambérieu-en-Bugey, Isabelle Daniel découvre la géologie en classe préparatoire à Lyon. Sa fascination devant le fonctionnement de la Terre, la formation des chaînes de montagnes, la décident à s’orienter vers ce domaine. Aujourd’hui chercheuse au Laboratoire de géologie de Lyon : Terre, planètes et environnement (LGL-TPE - Université Claude Bernard Lyon 1/ENS de Lyon), elle est reconnue pour le large spectre de ses activités de recherche, avec en filigrane une question fondamentale : l’habitabilité de la Terre et des planètes, l’origine de la vie.
C’est après ses études à l’ENS de Lyon qu’Isabelle Daniel commence vraiment à se consacrer à l’étude de la géologie, pendant sa thèse. Sous la direction de Philippe Gillet - directeur de l’ENS de Lyon de 2003 à 2007 -, son travail de recherche l’amènera à Rennes, puis à l’Arizona State University avant de revenir à Lyon. Ce qu’elle retient de cette période ? « Une période fascinante et de grande liberté, durant laquelle j’ai pu explorer et expérimenter beaucoup de choses » raconte-t-elle enthousiaste. Une approche interdisciplinaire qu’elle intègre donc très tôt dans son parcours, afin de mieux comprendre comment la vie peut apparaître et se maintenir sur une planète.
De l’intérieur de la Terre à l’émergence de la vie
Ses travaux s’étendent de l’étude de l’intérieur de la Terre jusqu’aux micro-organismes en sub-surface. Au laboratoire LGL-TPE, son équipe travaille à la fois à la Doua et à Gerland - à l’Ens de Lyon - où ils utilisent des cellules à enclumes de diamant pour simuler les conditions de l’intérieur de la Terre. La taille variable de la pointe des diamants peut atteindre 100 micromètres (approximativement la taille d’un cheveu), ce qui permet d’appliquer sur un matériau liquide ou solide des pressions variables depuis la sub-surface de la Terre jusqu’à celles du noyau terrestre (plusieurs millions de fois la pression atmosphérique). Parallèlement à cette approche physique des phénomènes profonds de la Terre, Isabelle Daniel s’est intéressée à la chimie des roches, à leurs interactions avec l’eau en sub-surface, et s’appuie sur des méthodes de mesures non-invasives comme la spectroscopie Raman ou de rayons X. Une démarche transversale pour mieux appréhender la complexité du vivant dans le domaine de la géologie.
Pendant longtemps, explique-t-elle, les géologues ont abordé l’émergence de la vie sur notre planète en remontant le temps depuis notre époque. Or, de nombreux embranchements dans l’histoire de l’évolution masquent vraisemblablement les temps initiaux et il n’existe probablement pas une seule et unique condition préalable à l’apparition de la vie. Ainsi Isabelle Daniel a intégré plus récemment un aspect microbiologique au champ de ses recherches, afin de s’approcher davantage de conditions réelles, complexes, même si la complexité doit être poussée à un niveau contrôlé tempère-t-elle.
« Je pense que c’est un piège en sciences naturelles d’essayer de reproduire la nature. J’essaie plutôt de comprendre cette complexité en testant des hypothèses sur des systèmes modèles. Il n’existe en effet qu’une infime partie de micro-organismes que l’on sait cultiver en laboratoire et que l’on connait bien ».
Une conduite de recherche interdisciplinaire reconnue
Cette approche interdisciplinaire pour aborder ses questions de recherche selon un spectre très large, Isabelle Daniel la revendique comme une force. C’est d’ailleurs ce qui lui valut d’être appelée au sein du comité exécutif du projet Deep Carbon Observatory en 2010. Ce vaste programme de recherche international décennal est destiné à l’étude du carbone dans l’intérieur de la Terre, la croûte, le manteau et le noyau terrestres et réunit de nombreuses branches des sciences de la Terre et des sciences du vivant. « Le fait que ce programme soit interdisciplinaire, c’est ce que j’aime faire, donc ce fut une expérience très enrichissante » ponctue la chercheuse.
De par sa connaissance des problèmes de la biosphère profonde jusqu’à la physique de l’intérieur de la Terre, elle tisse des liens avec toutes les communautés du Deep Carbon Observatory. Sa vision transversale des problèmes de la Terre et des planètes en relation avec la vie lui permet de proposer, de contribuer à des projets qui ont rencontré parfois une réelle réussite. Par exemple la transformation du carbone dans les zones de subduction, ou l’extension et les limites de la vie en profondeur. Un succès qui reste pour Isabelle Daniel collectif.
« Je me permets beaucoup de choses, qui la plupart du temps ont fonctionné, mais c’est aussi parce que je suis bien entourée » confie-t-elle. Et d’ajouter que « la géologie est une petite discipline, donc nous travaillons naturellement en interaction. C’est le cas aussi à Lyon, au laboratoire LGL-TPE. Chacune et chacun a des sujets distincts, mais nous nous nourrissons mutuellement du travail des uns et des autres ».
La géologie, un domaine qui nous concerne toutes et tous
Le laboratoire a ainsi été impliqué dans de nombreux projets d’envergure nationale et internationale au cours des dernières années, sur une thématique qui ne concerne pas que les géologues, rappelle la chercheuse. « Nous habitons toutes et tous sur une planète unique et l’une des questions que nous devons nous poser, c’est comment faire en sorte qu’elle reste vivable » abonde-t-elle.
Et cela passe nécessairement par la compréhension du fonctionnement de la Terre, de ses mécanismes internes, de son histoire, justifiant l’engagement de cette enseignante-chercheuse dans la formation. « J’adore enseigner en première année de licence. C’est un moment où les étudiants, tout juste sortis du lycée, découvrent beaucoup de choses. C’est l’occasion de leur montrer que la géologie n’est pas un domaine cantonné à une petite communauté ».
Ouvrir la géologie aux étudiants mais aussi à la société civile, c’est une mission qu’Isabelle Daniel, en tant que directrice de l’observatoire de Lyon, a à cœur. Alors que la défiance des citoyens vis-à-vis des institutions scientifiques est vive, l’activité de médiation scientifique de l’observatoire de Lyon, aussi bien auprès des publics scolaires que du grand public, s’avère d’autant plus importante. « Ce n’est qu’un juste rendu d’expliquer à la société nos travaux, qui sont financés en grande partie par des fonds publics. Cela fait aussi partie de nos missions de faire bénéficier au plus grand nombre des avancées de la science, de sensibiliser à la démarche scientifique. Je ne pense pas que les universités puissent avancer en marge de la société ».
Un article de Matthieu Martin/Direction de la recherche et des écoles doctorales
Crédits photographie : Eric Le Roux/Direction de la communication