Immersion : « J’ai été cobaye pour une étude sur l’odorat »

Notre journaliste David Gossart lors d'une étude clinique sur l'odorat du CNRL. © Susie Waroude

Anosmique (dépourvu d’odorat) de naissance, notre journaliste David Gossart a participé, de février à mai, à une étude clinique du Centre de recherche en neurosciences de Lyon. Cobaye pour la science et sa propre compréhension de son problème, il raconte cette expérience stimulante et… frustrante.

Prenez une seconde et interrogez-vous : quelle est la question que vous posez le plus fréquemment à votre entourage ? Pour certains ce sera « est-ce que tu m’aimes ?  », pour d’autres « qu’est-ce qu’on mange ce soir ? »… Pour moi, cette question est : « Qu’est-ce que ça sent ? » Chez le fleuriste, au restaurant, lors d’une dégustation de vin… j’aime que l’on me décrive ces parfums que je ne sens pas.

On ne sait pas ce que je perds, ni ce que j’évite.

Si certains perdent l’odorat suite à un trauma ou à un accident, je suis né sans odorat, comme ma mère. Pour ainsi dire, je ne sais pas ce que je perds. Ni ce qu’est une odeur. D’où une reconnaissance éternelle aux personnes qui tentent de me décrire avec leurs mots ce qu’est l’odeur du pain chaud ou de la fondue.

Mais dans notre cas infinitésimal, qui fait de ma mère et moi les leaders dans notre domaine, j’ai la chance d’avoir le goût. Et ça, c’est la question que l’on me pose le plus souvent : « Donc, tu n’as pas de goût ? » Si, mais pas le même que la plupart des gens, c’est sûr. Et j’induis à partir de mes sensations gustatives l’odeur que pourrait avoir, par exemple, un saint-marcellin coulant.

Au fil des années, ni IRM, ni scanner n’ont su détecter la moindre explication à ce défaut de conception que nous avons fini par attribuer, faute de mieux, à « la génétique ».

L’étude, une rareté pour la perte d’odorat.

Moustafa Bensafi et Catherine Rouby ont sorti le 24 septembre un livre, Cerveau et odorat : Comment (ré)éduquer son nez. Chez EDP Sciences.

S’interdire d’avoir le gaz à la maison pour éviter une éventuelle fuite que je ne saurais repérer, échapper à l’odeur des pots d’échappement, ne jamais savoir si mon odeur corporelle est problématique… tout cela fait tellement partie de mon quotidien que je n’y pense pas plus souvent que Grégory Doucet à passer son permis de conduire 3,5 t.

Jusqu’au jour où j’ai rendu visite pour Tribune de Lyon à Moustafa Bensafi du Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL) à Gerland. Il s’agissait d’un sujet sur la stimulation de l’attention chez les enfants du spectre autistique par l’utilisation de leur goût et de leur odorat. C’est à cette occasion que j’ai appris qu’une étude destinée à étudier des cas comme le mien était en gestation.

Étape 1 : le questionnaire.

J’ai donc postulé, puis ai eu rendez-vous avec la chercheuse Catherine Rouby au neurocampus du Vinatier, le 12 février. Ce premier entretien, suivi d’un questionnaire, ressemblait fortement à mes discussions amicales habituelles. Il s’agissait avant tout de cerner les conséquences au quotidien de ce « problème ». L’insistance de la chercheuse sur la question « quand vous en êtes-vous aperçu ?  » me donne une idée de la difficulté pour la science elle-même à cerner le problème d’une anosmie de naissance.

Cette étude vise autant les dysosmiques (odorat défaillant) que les anosmiques (odorat inexistant) accidentels ou de naissance, mais les no smell congénitaux sont la frange de la marge des cas observés. D’ailleurs, Catherine Rouby en convient sans problème : « Il n’y a guère d’espoir d’avoir une solution bientôt. »

Peu importe, il y a quelque chose de rassurant à savoir que quelqu’un s’y intéresse. C’est le cas d’Aurélien Kassan, étudiant en 4e année de… masso-kinésithérapie à Lyon, dont l’angle d’attaque de l’étude, sous l’égide du CNRL, est de rééduquer le patient à sentir, un peu comme on rééduque un genou blessé (lire l’interview ci-après).

Étape 2 : des centaines de flacons à « sniffer ».

Ma première phase d’expérimentation au Vinatier a eu lieu le 26 février. Elle consistera, majoritairement, à « sniffer »brièvement le contenu de dizaines de flacons, rangée par rangée, boîte par boîte. Le but : tester mes capacités en termes de seuil, d’identification et de concentration. Une évaluation de la reconnaissance d’odeurs, de leur intensité, et éventuellement l’attribution d’une « force ». Autant dire que cela aboutira à deux heures très monotones.

Sur ces centaines de tests olfactifs, un seul produira un « effet », une sensation de picotement non attribuable à une odeur, mais à un produit chimique. Oui, l’ammoniac me fait le même effet pénible qu’à tout un chacun, mais ce n’est pas une odeur. Pour le reste, il s’agit surtout d’une balade poétique en mots dans l’univers des odeurs de la nature, ou d’éléments dont je n’imaginais même pas qu’ils puissent dégager un effluve quelconque.

Que sentent l’herbe coupée, le poivron, le goudron ? Je ne les ai pas reconnus, je ne saurai jamais. Tout a l’odeur de l’eau plate. Aux cases prévues pour les notes d’intensité, j’inscris des néants.

Notre journaliste David Gossart lors de l’étude. © Susie Waroude
© Susie Waroude
© Susie Waroude

Étape 3 : 12 semaines de tests à domicile.

Je repars chez moi avec une caissette de flacons qui vont devenir ma nouvelle routine quotidienne pendant 12 semaines. Chaque jour, je sélectionne une série de trois flacons et tente de repérer lequel contient une odeur en alternant trois « sniffs » courts et trois longs. Le nouveau SOS de l’anosmique.

Si j’ai juste, je le note, ainsi que l’intensité ressentie. Si j’échoue à trouver le flacon piégé, je le repère avec la pastille qu’il a à sa base et je le « sens » à nouveau. Ce, chaque jour pendant 12 semaines. Les séries se retrouvent d’une semaine sur l’autre, ce qui devrait permettre de noter des progressions.

Loterie au pifomètre.

Pendant ces trois mois, je n’aurai eu l’impression de détecter l’odeur qu’à deux ou trois reprises parmi les senteurs de clou de girofle, citronnelle, moisi et orange. Tellement diffuses, fantomatiques, indicibles et diaphanes qu’elles s’apparentaient plutôt à un arrière-goût d’eau de mer au fond de la gorge.

Dans le doute, le test des flacons par mes proches me confirme ce que je supposais : si j’avais vraiment détecté une odeur, je serais tombé de mon tabouret, de surprise, devant l’évidence pestilentielle, plutôt que d’afficher une moue dépitée chaque semaine lors de mes débriefings, via Skype, avec Aurélien Kassan. Une sensation qui me surconfinait dans la bulle de ma loterie au pifomètre.

Seule consolation et avancée réelle à mon humble niveau : j’avais désormais la certitude que j’étais bien anosmique, et pas que je me confortais par snobisme, depuis le plus jeune âge, dans le vécu d’un handicap autoréalisé. Sinon, ça sent quoi la madeleine ?

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INTERVIEW | Camille Ferdenzi : « Avant le Coronavirus, le mot anosmie était inconnu du grand public »

La chercheuse Camille Ferdenzi.
© Éric Le Roux/Direction de la Communication.

Camille Ferdenzi est chercheuse au CNRS en psychologie et neurosciences au sein du CNRL dans l’équipe Neuropop où travaille également Moustafa Bensafi. Elle a chapeauté l’étude d’Aurélien Kassan qui a suivi 30 adultes de 23 à 77 ans.

Aujourd’hui, quel pourcentage de la population est anosmique ou dysosmique ?

Tout confondu, on atteint presque 20 % des plus de 50 ans et 17 % de la population française. Ces chiffres sont cohérents avec ce qu’on voit dans d’autres pays. Une personne sur cinq présente des troubles olfactifs, ce qui est énorme.

Mais souvent, ce n’est pas une perte complète. Au-delà de 50 ans, il s’agit surtout d’une diminution des capacités olfactives dans la grande majorité. Selon les études, l’anosmie représente entre 0,5 et 5 %.

Quelles sont les causes de la perte d’odorat ?

Le vieillissement en est une cause, mais il y a aussi tout un tas d’autres explications possibles : à la suite d’un traumatisme (comme un traumatisme crânien), d’une tumeur, d’une exposition à des substances toxiques avec destruction de la muqueuse olfactive… et d’une attaque virale. Avec la Covid en ce moment, c’est ce qui se passe.

Il y a donc d’autres virus qui peuvent provoquer cet effet…

En effet, différents virus peuvent être à l’origine de dysosmie ou d’anosmie. Mais pour le cas spécifique de la Covid, on ne sait pas encore si c’est un effet seulement temporaire. La plupart des malades récupèrent l’odorat en une semaine, voire deux.

C’est avec le temps que l’on se rend compte si la récupération est totale, partielle, ou bien si le patient ne récupère pas du tout l’odorat après plusieurs mois. On ne sait pas bien pourquoi, comment, le virus fonctionne ; cet effet sur l’organisme est difficilement prédictible.

Les études à ce sujet sont rares : pourquoi ? Est-ce parce que c’est un problème invisible ?

Exactement. C’est vraiment un gros souci. Avant le Coronavirus, le mot anosmie était inconnu du grand public, là on commence à en parler un peu. Les gens se rendent compte du handicap que c’est dans la vie quotidienne. Les malades qui perdent l’odorat mettent du temps à aller en parler à un médecin. Ils ne sont que peu entendus sur cette pathologie, et pas bien pris en charge par les médecins généralistes. Beaucoup rentrent chez eux sans solution.

Si pour les patients atteints de Covid, la perte d’odorat est utilisée comme élément de diagnostic, ce n’est pas un problème pris en charge ensuite. Seul un faible pourcentage de médecins propose une solution comme l’entraînement olfactif pour récupérer.

L’entraînement olfactif est le sujet de l’étude que vous menez à Lyon justement…

Tout à fait. Plusieurs études ont été menées sur l’effet de ces entraînements de l’odorat, dans plusieurs pays, mais pas assez à notre goût. Pourtant ils ont fait leurs preuves, quand bien même cela ne fonctionne pas chez tous les patients. On note une amélioration spontanée dans de nombreux cas, et une récupération plus rapide.

Y compris lors de votre étude ?

Nous avions commencé avant le confinement, et avant d’être confrontés à la problématique de la Covid. Aurélien Kassan, qui devait mesurer la capacité olfactive au début de l’entraînement, n’a pas pu réaliser de mesures lui-même sur nos patient comme prévu à 6 semaines, puis à 12 semaines.

Cependant, chaque testeur a noté ses réponses au quotidien, et il en est ressorti que des améliorations sur l’intensité des odeurs étaient perçues en moyenne au bout de 6 semaines. C’est lent et progressif, mais encourageant. D’ailleurs, l’accompagnement, même à distance, s’est révélé très efficace sur la motivation des gens, cela a limité les abandons.

L’un de vos objectifs est-il d’améliorer la prise en charge de la perte d’odorat dans le monde médical ?

Oui, il est important de défendre l’idée que les kinés ou les orthophonistes peuvent accompagner la rééducation olfactive. On essaie d’intégrer ces rééducations dans les pratiques de ces professionnels.

On travaille également main dans la main avec les ORL lyonnais qui attendent beaucoup de cette collaboration. Et on aimerait enfin passer le message aux  généralistes qui sont les premiers interlocuteurs en cas de souci.

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