Euclid : « on a livré des images extraordinaires à la communauté scientifique »
Du 24 au 26 janvier, l’Université Claude Bernard Lyon 1 a accueilli le symposium Euclid au campus LyonTech-la Doua. Une édition particulière après la révélation des premières images cosmologiques du satellite. Anne Ealet, directrice de l’IP2I et l’une des membres fondateurs d’Euclid revient sur ce vaste projet dont l’ambition est d’apporter des réponses aux mystères de la matière noire, de l’énergie noire et de l’expansion de notre univers.
Euclid est un télescope de l’Agence spatiale européenne. Après plus d’une décennie, il a officiellement été lancé le 11 juillet 2023 et a récemment livré ses premières images. Son objectif est de cartographier une vaste région de l’univers pour mieux comprendre l’expansion de l’univers et tenter de lever certains mystères qui entourent la matière noire et l’énergie noire. À Lyon, l’Institut de Physique des deux infinis (IP2I) est fortement impliqué dans la mission. Anne Ealet, directrice de recherche CNRS et directrice de l’institut, fait partie de l’équipe fondatrice du projet Euclid. Elle revient sur l’acquisition de ces images uniques. Une véritable prouesse scientifique.
Vous avez vu naître le projet il y a 10 ans. En quelques mots Euclid…
Euclid a été adopté en 2011 par l’Agence spatiale européenne (ESA). Il s’agit d’une mission d’astrophysique et de cosmologie sélectionnée dans le cadre du programme scientifique Cosmic vision de l’ESA et qui est le résultat de la fusion de deux propositions, une française et un italienne. Elle a pour objectif de comprendre la matière noire, l’énergie noire et l’accélération de l’expansion de l’univers, un sujet que l’ESA a défini comme une priorité scientifique dès les années 2000.
Nous avons construit ainsi entre 2006 et 2011 dans le cadre de cette mission un consortium international mené par la France comprenant un télescope et deux instruments : un instrument destiné à cartographier l’univers dans le domaine visible, un deuxième dans le domaine de l’infrarouge. C’est assez rare d’obtenir des relevés cosmologiques simultanément dans le domaine visible et dans l’infrarouge, mais ces données sont essentielles pour répondre aux grandes questions cosmologiques.
Comment Lyon est impliqué dans cette mission ?
La France a rapidement pris une responsabilité forte dans le traitement des données des instruments du satellite européen. À Lyon deux laboratoire sont membres du consortium : l’Institut de physique des deux infinis (IP2I) et le laboratoire d’astrophysique de Lyon (CRAL). L’IP2I s’est positionné dès le début de la mission comme spécialiste des détecteurs infrarouges et a été en charge de la caractérisation des 16 détecteurs infrarouges du spectro-photomètre NISP, ainsi que du développement du traitement de données de niveau 1 pour cet instrument.
Grâce à un accord entre l’IN2P3/CNRS et le CNES, les données sont hébergées à Lyon au centre de calcul de l’IN2P3 (campus LyonTech-la Doua). L’objectif est de rendre ces données accessibles et exploitables par les scientifiques pour faire de la cosmologie. À l’IP2I, Hélène Courtois (Pr Lyon 1), Yannick Copin (MCU Lyon 1), Bogna Kunik (IR CNRS), Remi Barbier (MCU Lyon 1), ou encore Florian Ruppin (MCU Lyon 1), récemment recruté, de l’équipe de cosmologie sont notamment fortement impliqués dans l’analyse cosmologique des données.
Après un lancement réussi en juillet 2023, le 2 novembre de la même année, Euclid a dévoilé ses premières images. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
L’acquisition de ces images est le résultat d’une préparation longue de plus dix ans ! Pour faire de la cosmologie, la qualité d’image doit être optimale. Un vrai challenge compte tenu de nos exigences optiques. Chaque image fait plusieurs millions de pixels et contient plus de 3000 galaxies, ce qui rend les relevés cosmologiques d’Euclid exceptionnels pour un télescope de cette taille – comparé à Hubble, le champ d’Euclid est 300 fois plus important.
Aujourd’hui, les instruments fonctionnent bien, la calibration des instruments est réussie. Quelques ajustements sont encore prévus, mais les premières images dévoilées nous permette d’être confiants sur les relevés qui vont suivre pendant les six prochaines années.
Le télescope Euclid mesure 1,2 m de diamètre, avec une résolution de 0,2 arc seconde. L'instrument VIS est un immense appareil photo qui contient 36 détecteurs CCD avec en tout plus de 500 millions de pixels. L'instrument NISP contient lui 16 détecteurs infrarouges H2RG, fournis par la NASA avec 65 millions de pixels.
Quelle est la prochaine étape ?
Après une première phase de calibration et de traitement de données qui a abouti à ces images, il s’agit maintenant de les exploiter pour répondre aux grandes questions de la mission sur la matière noire, l’énergie noire et l’accélération de l’expansion de l’univers. Le consortium prépare depuis le début du projet cette étape et a déjà établi les études majeures.
À partir de ces images, on va scruter les signaux cosmologiques témoignant de la dynamique de l’univers et vérifier que ces observations sont conformes à ce que prédit la théorie de la relativité générale. Par exemple des signaux faibles comme le cisaillement gravitationnel en observant la distribution des galaxies – voir si certaines régions de l’univers sont plus ou moins denses. Ces données visibles permettent de mettre en évidence la répartition de la matière noire et de comparer cela aux mesures des grandes structures galactiques, obtenues dans le domaine de l’infrarouge.
En 2024, Lyon a accueilli le nouveau symposium francais Euclid. Quel accueil avez-vous reçu ?
Cette année a été une édition marquante puisqu’il s’agit de la première réunion du consortium depuis le lancement et l’acquisition des premières images d’Euclid. Il y avait une aura particulière et ce fut avec plaisir et avec enthousiasme que le consortium français s’est retrouvé à l’IP2I où se déroulait le symposium.
Après dix ans, quel regard portez-vous sur ce projet ?
C’est l’aboutissement d’un grand projet spatial que l’on a construit, fait grandir et pour lequel on s’est battu depuis 15 ans. Une bonne partie d’entre nous a fait carrière sur Euclid et je suis ravie de voir le chemin parcouru. On a livré à la communauté scientifique des images extraordinaires ! Maintenant, mon travail, c’est de faire en sorte que les jeunes générations de scientifiques qui arrivent s’emparent de ces images pour, à leur tour, construire leur carrière sur ces données et peut-être, demain, révolutionner notre connaissance l’univers.
© ESA/Euclid/Euclid Consortium/NASA
Euclid en quleques chiffres
- 2000 chercheurs et ingénieurs, dont plus de 400 en France
- Plus de 200 laboratoires de 16 pays européens ainsi que des Etats-Unis, du Canada et du Japon, en faisant le plus grand consortium jamais assemblé dans un projet d’astrophysique.
- 40 000 images prévues au bout de 6 ans de mission pour 1,5 milliard de galaxies en visible et infrarouge, couvrant 15 000 deg2 de ciel, et couvrant jusqu’à une distance de 10 milliards d’années-lumière de la Terre.
Le symposium Euclid a accueilli pendant trois jours plus de 150 personnes au Campus LyonTech-la Doua, au sein de l’Institut de Physique des deux infinis (IP2I). Présent lors de son inauguration, le Président de l’Université Claude Bernard Lyon 1, Frédéric Fleury s’est exprimé pour souligner la contribution active de plusieurs membres de sa communauté à ce projet scientifique exceptionnel.